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BUREAU DES DOUANES DE OUAGARINTER

Plusieurs milliards dans les poches de douaniers et commerçants fraudeurs

Le DG des douanes du Burkina se reproche-t-il quelque chose ?

Ce qui se passe au bureau des douanes Ouaga-route, communément appelé Ouagarinter, dépasse l’entendement. Des milliers de camions de marchandises, passant par ce bureau de douanes, sont déversés sur le marché national sans être dédouanés. Le préjudice subi par le Trésor public est énorme, très énorme. Les chiffres donnent parfois le tournis. Des centaines de milliards de FCFA, sur une période d’environ deux ans seulement, à en croire les estimations. Toute cette manne qui aurait pu permettre à l’Etat de financer d’importants projets sociaux vitaux, pour les populations, se retrouve dans les poches de quelques individus ; notamment des douaniers et des commerçants, organisés dans un vaste réseau de fraude bien huilé. Ce réseau fonctionne pratiquement comme en terrain conquis, au sein dudit bureau de douanes. Comment cela se passe-t-il exactement ? Nous avons mené notre enquête

Le mode opératoire du réseau est assez sophistiqué. Difficile de le cerner de l’extérieur. Il faut y être pour comprendre. L’argent y coule à flot. Dans le bureau tout le monde ne fait pas partie du mystérieux cercle qui fonctionne à l’image d’une société secrète, dans laquelle on peut devenir multimillionnaire en un temps record. Seuls les « initiés », des hauts gradés et leurs hommes, ainsi que leurs complices commerçants, se recrutant parmi les plus gros importateurs de denrées de grande consommation du pays, en savent quelque chose.

Les cargaisons de marchandises appartenant à un même importateur arrivent dans le bureau, en provenance des postes frontaliers. Ces marchandises font l’objet de ce qu’on appelle dans le milieu « une prise en charge groupée ». C’est-à-dire la douane enregistre l’ensemble des camions sous un même numéro appelé numéro de manifeste ou numéro de prise en charge. En principe les quantités de marchandises prises en charge sont celles qui feront l’objet de dédouanement pour être déversées sur le marché national, après paiement des droits et taxes. Ces quantités ne peuvent être modifiées sans la preuve d’un état différentiel, dument établi et justifiant un éventuel déficit ou excédent décelé au cours du traitement du dossier.

En des termes plus simples, si la douane reçoit et enregistre dans ses livres par exemple 10 camions contenant 500 tonnes de riz importé par un commerçant X, à la sortie de la douane, on doit pouvoir voir sur les papiers de dédouanement du commerçant 10 camions de 500 tonnes de riz dédouanés à un montant Y. Si d’aventure on retrouvait ce commerçant sortant de la douane avec sa marchandise et en mains des papiers indiquant par exemple qu’il a dédouané 3 camions de 75 tonnes de riz, il doit pouvoir montrer un autre document dument établi par les agents chargés du contrôle des cargaisons, justifiant ce changement au niveau des quantités et poids de la marchandise à la sortie de la douane. Autrement il y a problème. C’est du reste ce que prévoit la réglementation concernant le système (SYDONIA++) utilisé par la douane burkinabè depuis des années et régi notamment par la note N°2007/000559/MEF/SG/DGD du 25 juillet 2007 portant instruction cadre relative à la procédure de dédouanement automatisé.

Manipulation du système informatique !

Cependant, nos enquêtes révèlent que les quantités de marchandises prise en charge dans le système informatique SYDONIA à la douane de Ouagarinter, font régulièrement l’objet de modification, le plus souvent à la baisse, sans un fondement. Les quantités ainsi minorées, sont alors apurées par déclarations de mise à la consommation. Cette pratique très courante dans le bureau, permet de soustraire des quantités impensables de marchandises du paiement des droits et taxes dus. Juste quelques exemples concrets :

Le 28 novembre 2020, des camions d’un importateur transportant 65 105 sacs de farine, d’un poids total d’un peu plus de 3 200 tonnes (3 203 548 kg précisément) rentrent à la douane de Ouagarinter. Ce sont les données de la marchandise enregistrées sur le document de manifeste à l’entrée de la douane. Normalement, c’est le même nombre de sacs et le même poids de farine qu’on devrait retrouver sur le document de sortie, attestant de l’apurement des droits et taxes dus et tenant aussi lieu de déclaration de mise à la consommation de la marchandise. Ce qui n’est pas du tout le cas : sur le document de dédouanement de la marchandise, que nous avons pu consulté, sur les 65 105 sacs de farine, seulement 10 000 sacs ont été dédouanés, soit seulement 500 tonnes sur les 3 203,5 tonnes. En clair, sur les 3 203,5 tonnes de farine, 2 703,5 tonnes n’ont pas été dédouanés. La déclaration de mise à consommation n’a pris en compte que 500 tonnes. C’est dire, à peine 15,6% de la cargaison ont été dédouanés.

A la direction générale des douanes, communication interdite?

Dans les calculs, explique une source douanière bien au fait de ces questions, si cette marchandise était dédouanée correctement, c’est-à-dire si l’on avait dédouané les 3 203,5 tonnes, l’importateur devrait payer au trésor public 185,775 millions de FCFA au titre des droits et taxes. Mais grâce à cette manœuvre frauduleuse, ayant consisté à manipuler le système informatique pour minorer les quantités et poids de la marchandise, l’importateur n’a payé au Trésor public que 29 millions de FCFA, au lieu de 185,775 millions dus, au titre des droits et taxes. Soit un manque à gagner de 156,775 millions de FCFA. En termes plus clairs, dans cette seule opération, l’Etat a perdu plus de 156 millions sur les 185,775 millions qu’il aurait dû engranger.

Autre exemple : nous sommes le 4 février 2021. Un importateur fait rentrer une cargaison de 40 060 sacs de sucre en poudre d’un poids total de 2 003 tonnes à Ouagarinter. Dans les normes, cet importateur devrait payer au titre des droits et taxes la rondelette somme de 205,717 millions de FCFA. Mais curieusement sur le document de dédouanement qu’il tient au sortir du bureau douane, les 40 060 sacs de sucre sont devenus seulement 2 160 sacs et le poids est passé de 2 003 tonnes à 108 tonnes. C’est sur cette base que ses droits et taxes ont été calculés. Ainsi, au lieu des 205 millions de FCFA, il n’a payé que 11 millions de FCFA. A peine 5% de ce qu’il aurait dû payer. Soit une perte sèche de 194,625 millions pour le trésor public.

Près d’une centaine de milliards compromis en deux ans

Ce genre d’exemple peut être multiplié à l’infini dans ce bureau de douane. C’est le sport le plus pratiqué dans ce bureau de douane, présenté comme l’un des plus grandes portes d’entrée de devises au niveau national. La pratique concerne toutes les grosses importations de produits de grande consommation que sont le riz, le sucre, l’huile, la farine etc. A en croire, nos sources, entre 2020 et 2022, ce sont des milliers de camions de marchandises parvenus à Ouagarinter qui ont été déversés sur le marché sans être dédouanés. Donc des montants inimaginables de droits et taxes non payés. Le préjudice subi par le Trésor public est estimé à près d’une centaine de milliards sur ce petit laps de temps. La pratique est très bien connue de tous au sommet de la douane burkinabè. Des hauts responsables et pas des moindres ont trempé leur babine dans cette fétide soupe. Mais là-bas, on feint d’ignorer son existence. Ou du moins, on évite soigneusement de l’aborder.

Nous avons contacté le directeur général, Mathias Kadiogo, à ce sujet. Dans un premier temps, il a marqué sa disponibilité pour nous rencontrer. Mais jusqu’à ce que nous bouclions ces lignes, nous n’avons pas pu le rencontrer. Après avoir marqué sa disponibilité pendant que nous étions à l’extérieur du pays, il est devenu subitement indisponible dès que nous sommes rentrés et l’avons recontacté. Selon certaines indiscrétions, le dossier embarrasse au plus haut degré. Le désastre est énorme et les enjeux aussi. Il se dit même qu’en interne, on cherche les voies et moyens pour faire disparaitre les traces. Certaines sources n’écartent pas l’éventualité d’un incendie simulé à cet effet. Les autorités de contrôle sont interpelées. Il faut absolument faire quelque chose et très vite. Nous y reviendrons.

Par Y. Ladji BAMA

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50 commentaires

  1. Ce qui fait mal c’est qu’au nom de la surtaxe certains commerçants sont allés jusqu’à faire exploser les prix alors qu’ils ne paient même pas leurs taxes… Pauvre de nous. 😭

  2. Quel pillage ! Il faut que ça s’arrête. IB et cette transition sont aptes à stopper cette plaie. S’ils ne le font pas, alors on est foutu. Et encore, à quoi sert alors l’informatisation du système ? Poudre aux yeux

  3. Bonjour chère aîné, courage pour le don de soit.
    J’admire votre engagement, donc vous encourage à persévérer dans la lutte commune.
    Vous êtes écouté et compris maintenant.
    Bam yinga est notre joyaux et nous l’adoptons.

  4. Félicitations pour la création de cette page d’information en ligne… une enquête aboutit…on attend la suite de cette affaire

    1. Il va falloir que les autorités prennent à bras le corps ce phénomène qui gangrène de jour en jour. Nous sommes fatigués !!!

  5. Le mal est plus que ce qu’on pouvait imaginer. Un pays en guerre assymetrique et des individus sans vergogne se permettent ce tels actes. ASCE/LC est fortement interpellé. Le président de la transition aussi est interpellé car la douane est l’une des plus grande portes d’entrée des recettes de l’État

  6. Je pense que ce genre de pratiques sont monnaie courante dans ce milieu pas seulement à Ouaga-inter. C’est bien pour ça que le douanier est le fonctionnaire le plus riche de ce pays ,suivi de très près par les agents des impôts/trésor. Ces enrichissement souvent à la limite de l’injure envers les autres agents de la fonction publique doivent être suivis de près. C’est pourquoi nous tirons notre chapeau à l’équipe qui a mené l’enquête et espérons qu’une suite sera donnée dans ce domaine et dans bien d’autres dans le soucis de l’équité et de la justice sociale.

  7. Tout ça est révoltant. Je pense que le président doit tourner le regard vers cette institution capital pour un pays aux ressources limitées comme le Burkina mais qui est gangrené par une corruption qui semble être normalisé.
    Il faut une opération coup de poing. Des sanctions extrême comme en Chine où les corrompus sont ex*cutés

  8. Tout ça est révoltant. Je pense que le président doit tourner le regard vers cette institution capital pour un pays aux ressources limitées comme le Burkina mais qui est gangrené par une corruption qui semble être normalisé.
    Il faut une opération coup de poing. Des sanctions extrême comme en Chine où les corrompus sont ex*cutés

  9. Tout ça est révoltant. Je pense que le président doit tourner le regard vers cette institution capital pour un pays aux ressources limitées comme le Burkina mais qui est gangrené par une corruption qui semble être normalisé.
    Il faut une opération coup de poing. Des sanctions extrême comme en Chine où les corrompus sont ex*cutés

  10. Bonjour aux promoteurs de cet nouveau journal d’investigation en ligne.je tient a facilité et remercier toute l’équipe ayant contribuée a la naissance de ce nouveau née.et souhaiter plein succès et beaucoup de courage pour la suite.
    La tâche ne sera guerre facile,que Dieu vous donne la force d’aller au bout afin que le fruits de vos investigation puisses beneficiés au bien être collectif de l’ensemble des citoyens de ce pays que nous aimons tant.

  11. Vivement que les institutions concernées saisissent le dossier et le rendent fin . Que chacun de ces acteurs répondent. On ne peut pas se permettre de telles chose dans un pays sérieux. Encore courage à vous les investigateurs

  12. Il y a tellement de ressources dans ce pays.Mais l’intégrité à foutu le camp.C’est la première cause du terrorisme et des conflits sociaux.cette gouvernance !!!! merci Ladji pour ce travail de fourmi.Petit à petit on y parviendra

  13. Félicitations pour cet article de très belles facture. Vivement que les autorités compétentes s’en saisissent afin d’éviter cette saignée. Bon vent à BAMYINGA.

  14. Vraiment Il faut que les autorités de contrôle fasse quelque chose sur cette affaire qui campe au sommet de l’état,il faut que des tête tombe.c’est inimaginable. Non trop c’est trop.

  15. C’est tout simplement malheureux et honteux pour le pays de Thomas SANKARA.
    Vivement que la justice et l’ASCE-LC se saisissent de ce dossier avant le feu de brousse qui pourrait faire disparaître les preuves.
    La lutte contre le terrorisme doit prendre en compte le terrorisme économique.

  16. Thank you grand frère pour ce combat. Merci pour le noble travail que vous fournissez depuis des années au péril de votre vie. Si seulement les dirigeants prenaient la peine de vous écouter on n’en serait pas là aujourd’hui. Chapeau à tous les journalistes d’investigation qui se battent jours et nuits pour une gouvernance vertueuse de notre pays. Longue vie à vous sous la protection et la bénédiction divine.

  17. Bonjour,
    C’est très intéressant. Je félicite Ladji Bama pour ce travail abattu.
    Je veux savoir s’il ya possibilité de s’abonner

  18. Au lieu de traquer les menus fretins pour recouvrer des bribes de crédits, des maigres sous, on laisse le cash couler à flots dans des mains avides et nos projets de développement on du mal à démarrer. L’aéroport de Donsin serait déjà exécuté et en cours d’exploitation, les autoroutes, les hôpitaux, les écoles, les PME, … au lieu de mendier l’assistance humanitaire à la moindre catastrophe. Juste quelques bons ajustements (comme Maroc Télécom nous l’a démontré avec TELMOB sans que cela nous profite!) et de la bonne gouvernance. Et les sociétés publiques qui sont bradées, dealées sous la table, etc (comme ce fût le cas justement de l’ONATEL!). Et les contrats miniers ruineux, … Et avec tout ça, nous aspirons souverainement au développement et à la cohésion sociale. Les réparations et achats d’aéronefs pourris… Les chantiers surfacturés et mal exécutés!
    Il nous faut d’urgence, de nouveaux Tribunaux Populaires de la Révolution (TPR) pour colmater les brèches de ces “tonneaux de Danaïde” qui déversent de toutes parts, nos maigres ressources, alors que nous sommes un pays très pauvre dont l’essentiel des revenus est la fiscalité. C’est vraiment honteux pour notre pays qui clame son intégrité et sa dignité!

  19. Vivement que cette enquête de belle facture aide à la manifestation de la vérité. On ne peut pas continuer à se plaindre de notre pauvreté et tolérer de telle pratique.
    Bref, bon vent à Bam Yinga!

  20. Personne ne doutait de ces pratiques à la douane. Mais que le cynisme soit si baignant, le gouvernement de la transition doit y mettre de l’ordre afin de mette fin à cette voracité éhontée.

  21. Ce pays est tellement pourri et ça donne l’envie de vomir. Je n’en veux pas a ces Douaniers voleurs. ventrus mais, j’en veux aux plus hautes autorités du pays qui semblent encourager ces pillages .Au temps de la REVOLUTION on constataient chaque fois des dégagements de Douaniers voleurs et fraudeurs . C’est parceque l’état est laxisteque ces Douaniers braqueurs se le permettent comme si la fraude a grande échelle était legale. Le president IBRAHIM TRAORÉ est interpelé

  22. J’espère que les autorités actuelles prendront les dispositions idoines pour mettre fin à cette pratique macabre et poursuivre les acteurs de ce réseau de malfaiteurs.

  23. Seigneur !
    Mais du coup sa n’étonne personne vraiment. Qui n’est pas au courant de ce qui se passe dans les bureaux des douanes ?

  24. BORI BANA, suis-je tenté de le dire. Félicitation pour la création de ce site, félicitation pour l’article. Que votre modèle économique puisse vraiment résister au temps. BRAVO !

  25. Et ceux les mêmes cadres de la douane qui sortent nous rassurer qu’il font tout pour collecter les taxes et impôts. Si on fouille bien, même certains ministres sont mouillés n’en parlons pas du DG de la douane

  26. Merci Mr Bama pour avoir touché du doigt les réalités de ce pays que les autorités voient avec leurs yeux et font semblant de ne rien voir et entendre . Maintenant elles amusent la galerie en mettant en prison les voleurs de poulets et les voleurs de femmes . Oh mon pays réel ?

  27. Très bon article. Comme d’autres lecteurs ont du le dire, il n’y a rien d’étonnant concernant nos services douaniers.
    Peut-être inclure dans l’article les docs officiels: rapport à l’entrée des marchandises de 3200T et rapport en sortie des 500T. Bien sûr, flouter les noms pour éviter une vendetta.

  28. C’est vraiment décevant, des gens qui devraient normalement être des exemples !!!
    Merci pour le tuyau, que chacun joue maintenant son rôle.

  29. Bonjour !
    Félicitations aux vaillants journalistes pour ce beau canal d’information.
    Concernant le secteur de la douane et ces détournement, il faudra un profond assainissement du secteur.
    On peut rien construire dans l’anarchie.
    Faudra commencer par sanctionner et sévèrement les autres et complices de ces détournement.
    Merci et bonne journée.

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